Méditation et fin de vie
Éric Dudoit : « L’accompagnement spirituel est essentiel en fin de vie »
Publié Par Le Marois Marie le 27/02/2023 , mis à jour le 15/12/2020
Source : Le Magazine Psychologie
Il en est convaincu : soigner l’âme est aussi important que traiter la maladie. Rencontre avec Éric Dudoit, un thérapeute inspiré qui mêle santé et spiritualité, et aide ses patients à affronter la perspective de la mort avec plus de sérénité.
Est-ce le passage de la cinquantaine ou l’expérience qui lui donne suffisamment d’assise pour affronter critiques et moqueries ? Après vingt ans dans le même service, le Dr Éric Dudoit, responsable de l’unité psycho-oncologie en soins palliatifs à l’hôpital de la Timone, à Marseille, ne craint plus de « se faire griller » dans le milieu et exprime publiquement pour la première fois ses convictions profondes : il n’y a pas de tension entre psychologie et spiritualité, les deux se potentialisent. Dans son dernier livre, La Porte à franchir, témoignages d’un passeur d’âmes, cet homme paisible et chaleureux nous le montre à travers son expérience auprès de patients, très souvent en phase terminale. Voilà déjà dix ans qu’il a cocréé l’unité de soins et de recherche sur l’esprit avec des médecins.
Sa vocation : offrir aux patients, hospitalisés ou en protocole de soin, une prise en charge qui accompagne la totalité de l’être, le corps comme l’esprit. Selon les besoins des personnes, et en plus des entretiens psycho-cliniques traditionnels, il leur est proposé de la sophrologie, des massages et de l’hypnose éricksonienne avec deux infirmières, mais aussi de la méditation de pleine conscience – en groupe ou en individuel – et un espace de discussions spirituelles avec Éric Dudoit.
Méditation et fin de vie
Psychologies : Pourquoi avez-vous créé cette unité ?
Éric Dudoit : Après dix ans de pratique dans le service de soins palliatifs, je constatais chaque jour que les patients exprimaient un besoin impérieux de sens et de profondeur, que les questions qu’ils se posaient, notamment sur la mort, étaient source d’angoisse. Le sens est fondamental pour l’humain, c’est ce qui le tient vivant. Sans cela, il devient malheureux et perdu. Avec Geneviève Botti, médecin du service et élève pendant trois ans du moine bouddhiste Sogyal Rinpoché, et Éliane Lheureux, sophrologue et thérapeute ayurvédique, nous avons eu l’idée de mettre en place des groupes de méditation et de lecture de textes spirituels. Le chef de service puis la direction ont donné leur feu vert pour créer cette unité. Aujourd’hui, nous sommes quatre, deux infirmières et deux psychologues, et travaillons en coopération étroite avec les médecins, en complémentarité et dans un profond respect mutuel. Nous intervenons également dans d’autres services – stomato, gastro, dermato, neuro, chirurgie. Parfois, nous suivons des patients pris en charge temporairement dans un autre hôpital.
Méditation et fin de vie
À qui s’adressent ces soins ?
Éric Dudoit : Aux patients en soins palliatifs, c’est-à-dire qui souffrent d’une maladie incurable. Ils peuvent être en fin de vie, comme avoir encore quelques années devant eux. Pour ces derniers, la problématique est de retrouver un sens à leur nouvelle existence avec un corps amputé, un visage sans cheveux ni sourcils. Ces soins s’adressent également à leurs proches, pour les aider à reprendre leur respiration, à trouver une juste posture vis-à-vis du malade mais aussi d’eux-mêmes. Le personnel hospitalier peut également en bénéficier : quand un soignant va bien, le patient va mieux.
Méditation et fin de vie
Quel est le profil des patients qui vous sollicitent ?
Éric Dudoit : Ils sont de tous âges, et il y a davantage de femmes que d’hommes. Il est toujours plus difficile pour ces derniers d’accorder de l’attention à leurs émotions. Quant aux croyances religieuses, il y a vraiment de tout, du croyant pieux à l’agnostique. Lorsque des personnes se déclarent pratiquantes, je leur propose toujours de voir le représentant de leur culte. Normalement, toutes les religions sont représentées dans les hôpitaux. À la Timone officient un rabbin, un pasteur, un prêtre et un aumônier musulman. Aux bouddhistes, je suggère un médecin bouddhiste qui travaille à l’hôpital Nord.
Méditation et fin de vie
Qu’entendez-vous par « spiritualité » ?
Éric Dudoit : Ce mot désigne la quête de sens et, par conséquent, toutes les questions existentielles que nous pouvons nous poser : qu’est-ce qui me fonde en tant qu’être humain ? Qu’est ce qui donne sens à ce que je vis ? Pour cet accompagnement que je mène en individuel auprès des patients, je m’appuie sur les grands maîtres spirituels et personnalités qui participent à notre éveil, hors des dogmes et de manière aconfessionnelle. J’évoque aussi bien saint François d’Assise, le moine bouddhiste Thich Nhat Hanh que l’historienne et philosophe Marie-Madeleine Davy, Etty Hillesum ou encore le poète mystique persan Rûmî. Soigner l’âme est aussi important que soigner la maladie. Il est inutile de parler de métaphysique si le patient ne nous y invite pas et, même s’il y est ouvert, il ne s’agit pas de développer point par point une argumentation logique pour que le patient éprouve du réconfort. Notre posture est d’« être », de le laisser démêler les fils de sa pensée et de ses affects, de suivre le chemin d’une vérité. La sienne.
Méditation et fin de vie
Quel est l’impact de la méditation sur vos patients ?
Éric Dudoit : Faire silence et laisser les pensées suivre librement leur cours permet d’être dans l’ici et maintenant. C’est au contact des personnes en situation de mort imminente que j’ai appris la qualité de l’instant présent, l’état de paix qu’il procure et le gain pour l’appareil psychique. La méditation contribue à ouvrir le champ de la conscience de l’individu, à se faire confiance. Mais aussi à arrêter de tout vouloir saisir et régir avec son mental, le plus grand commentateur de notre vie. Cesser de croire nos pensées et nos jugements permet d’être au plus près des faits et des perceptions. Nous avons également observé que la méditation agissait sur la douleur. La plupart du temps, quand elle est trop élevée, nous voulons lui échapper. C’est une perte d’énergie importante, d’autant que celle-ci ne diminue pas du tout, au contraire. Méditer permet d’accueillir cette douleur et de la diminuer, de mieux supporter les traitements (chimio, radiothérapie, chirurgie…). Mais aussi de devenir acteur de sa maladie, au sens où celle-ci va nous aider à ressentir notre corps et à écouter ce qu’il a à nous dire.